Rêve de volaille
Ça y est, j’ai dû m’endormir. Enfin !
Sinon comment expliquer mon étrange hallucination ? J’ai ouvert les yeux. Le plafond au-dessus de moi s’était transformé en une surface miroitante, comme de l’eau. Ou peut-être était-ce du whisky … Dans la pénombre je ne distinguais pas très bien la couleur. Et là, dans le reflet que me renvoyait cette surface, je me suis vu avec une affreuse tête de poulet. Deux bourses molles tombant sous le menton, une crête rouge et raide, comme une coiffure punk, et une gueule de volaille ahurie. D’étonnement et d’amusement, je me suis mis à glousser. Cela a fait un drôle de vacarme ! J’ai tout de suite compris que je rêvais.
Je suis descendu du lit dans un battement d’aile, et me suis aventuré dans le couloir. Sauf qu’il n’y avait plus de couloir, mais une vaste plaine remplie de cactus. Des maigres, des grands, des petits, qui tendaient des mains épineuses vers le ciel. Un chemin de broussailles partait entre leurs doigts de concombres verts. Et là, tombant à la lisière de l’horizon, un sein géant. Je suis pris de hoquet, caquette et manque de m'étouffer. Serait-ce un rêve érotique ? Je me frotte les yeux du bout des plumes. Le sein a disparu: à sa place, un soleil aveuglant. Suis-je bête ! Une illusion, bien entendu ! Mais qu’est-ce qu’une illusion dans un rêve, sinon la matérialisation la plus profonde du subconscient ?
Je me remis à voleter sur le tapis de broussailles sèches. Il craquait sous les pattes : c’en était presque drôle et je continuais de glousser.
Quelqu’un s’est raclé la gorge :
« Dis donc, fiston, faudrait pas que tu te croies obligé de marcher sur ma barbe ! »
Je me suis retourné, stupéfait de surprise. Un vieillard aux allures de montagne se tenait derrière moi ; il tombait de son menton une barbe dont je ne voyais pas la fin et qui constituait ce que j’avais pris pour un chemin de broussailles. Les traits du géant avaient quelque chose de familier.
« Grand père ! me suis-je exclamé. »
Il m’a lancé un sourire bienveillant, s’est drapé de sa robe de rochers bruns et s’est figé contre l’horizon. Puis tout s’est brouillé, les cactus n’étaient plus des cactus mais des gouttes d’eau piquante qui me tombaient sur le nez. Elles coulaient du plafond où la masse liquide, miroir imbibé de rêves et de cauchemars, semblait ne plus pouvoir tenir. J’étais de nouveau allongé sur mon lit, bien humain, avec deux jambes et deux bras, un nez et des oreilles. Mon regard s’est dilaté au moment où le plafond a cédé et je me suis réveillé en hurlant.